C’est l’automne sur la mer

Au large des bistrots gelés, sur le pont des canis, une table, une place, un palace de trottoir. On casse la croûte, on parle froid, on cause salé. Un ballon blanc, sec, amarré au bord des lèvres crues, se balance. On s’accrocherait bien une jolie p’tite muflée à l’âme, à nos amours. Comme ça, tout seul... Assis face au brouillard du boulevard... On s’f’rait bien marin de caniveau, marin de vin brut... On empoignerait bien une belle douzaine de crevettes grises avec un beurre breton tout rond... On sifflerait bien, fines et claires, les dernières arrivées sur l’étalage à poisson, là... Juste à deux mains du pourboire... On s’f’rait bien toute la Terre Neuve, le Grand Cap et les montagnes d’écumes en terrasse... On voudrait bien lever le pied de la manche, lever le pied d’une huître... Mais on s’retrouve tout bête, dans son blouson serré, à lever l’petit doigt : « Gar çon ! Un simple vin d’Espagne, please, et une pince de crabe nature »... Tout bête ! Même pas vu que le tourteau prenait du prix et perdait du poids... Même pas vu que les bulots ont quitté nos assiettes, que les huîtres ont largué leurs habits de nacre, et que les moules tombent une à une... Dans ta marinière mon pelot... Même pas vu... C’est l’automne sur la mer.